28.3.05

17 - Mon monde à moi

Il y a un endroit où je me réfugie quand tout va mal : la décharge publique des templiers.
Une montagne de merdes disséminées dans une des anciennes carrières de la ville. Beaucoup trouveraient cet endroit particulièrement moche. Moi c’est tout le contraire.
Cette montagne de déchets représente tout à fait notre monde chaotique. Une génération d’objets que la société nous a vendus comme étant indispensables sont empilés là. Lave vaisselles et télés se font face dans un dernier souffle de vie ou un dernier combat épique, c’est au choix.

Assis sur mon frigo je repense à tous les événements de cette semaine. Franck et Erika m’ont jeté et Mélanie n’attend qu’une chose : me lyncher en place publique et évidemment dans d’atroces souffrances, sinon ce ne serait pas drôle…
Un monde de bonheur comme ils disent à la télé.


Mais en fait, je crois que je m’en fous.
Je suis obnubilé par ce « Il » du journal de Chloé. De qui a-t-elle si peur ?
Son père, son beau père voire quelqu’un d’autre ?
Je m’aperçois que je ne connais rien de sa vie. Je ne voyais que le coté lisse de cette fille. Une jolie blonde, un fantasme. Non, Chloé est une fille comme les autres, avec ses problèmes et ses souffrances, ses défauts et ses qualités. Et mine de rien, je crois que j’en suis encore plus amoureux…

J’aimerais que l’on me voit aussi comme ça ! Enfin autrement que comme un ado attardé et boutonneux. Et je suis coincé.

Je ne peux pas décemment aller lui en parler. J’ai son journal et je l’ai lu. C’est la pire des choses que je pouvais lui faire.

Il allait bientôt faire nuit.
J’avais envie de rester ici, seul, sur mon frigo.
Mais les amas de ferrailles, bois et objets en tout genre prennent des allures de monstres lorsque le crépuscule pointe. Et parfois je m’invente des peurs qui ne me lâchent plus de la nuit.

Je sautais du haut de mon frigo. La nuit m’enveloppant, j’eus toutes les peines à retrouver mon chemin dans ce méli-mélo de fatras. La réussite de cette entreprise ne fut pas sans quelques coupures aux bras et aux jambes.
Je retrouvais la nationale qui mène à Epinay et la longeais dans la clarté d’une lune bientôt pleine. J’étais perdu dans mes pensées lorsqu’une voiture me doubla, freina et s’immobilisa sur le bas-côté.


Je distinguais la silhouette d’une femme qui sortait de la voiture et s’approchait de moi.
« Romuald ? »
« Euh…. Oui ! C’est qui ? »
Il ne me semblait pas reconnaître cette voix.
« Approche ! Qu’est-ce que tu fais tout seul ici de nuit ? »
Sa voix semblait plus inquiète que curieuse. En m’approchant je reconnus cette personne.
C’était la mère de Chloé. Je l’avais déjà vue à la sortie des cours et en ville bien sûr. Chloé était assise côté passager et nous regardait.
« Je… je rentrais chez moi. Je me baladais… et… je me suis fait prendre par la nuit ! »
« Mais… tu es blessé ! »
« Hein ! Ah non, c’est rien. Juste quelques égratignures »
« Allez, ne reste pas là, monte, je t’emmène à la maison te soigner et prévenir tes parents que tu vas bien ! »
« Non non, c’est bon, je vais… »
« Taratata ! Il ne sera pas dit que je te laisse ainsi sur le bord de la route. Tu montes ! »

Devant son insistance et sa troublante gentillesse, je m’exécutais. Je montais derrière son siège.
Chloé que je n’avais pas revue depuis la fête me fit un sourire.
« Salut Romuald ! »
« Euh… salut Chloé » dis-je tout penaud.
« T’étais pas en cours hier » me dit-elle.
« Euh… non. J’étais… j’étais à Paris. Dans les rues. Enfin je manifestais quoi ! »
« Mmm ! C’est bien ça » me dit sa mère. « Il faut toujours se battre pour ses convictions ! »


Annabelle, la mère de Chloé m’amena chez elles.
Je n’étais encore jamais venu. Elle soigna mes plaies et appela mes parents qui commençaient à se faire du souci. La gentillesse d’Annabelle me fendait le cœur. De mémoire, on ne m’avait pas traité avec autant d’amour depuis une éternité.

Chloé me raccompagna même jusque devant chez moi.


Nous n’échangeâmes pas un mot. J’avais pourtant mille et une choses à lui dire. J’étais gêné par la situation, par la douceur de sa maman, par les idées perverses que la présence de Chloé m’insufflait. J’éprouvais un désir incroyable à la toucher. Elle était mystérieuse et électrisante.

Sur le perron, elle m’embrassa.



(Episode 17: scénario: rvdd & nino / illustrations: sadr)



22.3.05

16 - Manif à Paname

La vache ! Hier, j’avais pas cours, putain c’était cool !
Mon cousin qui habite Paris et qui s’appelle Henri m'a appelé :
- Dépêche cousin ! Enfile tes baskets, je t’embarque dans une super, mega manif de la mort qui tue, j’te dis moi, ça va chauffer dur !
- Mm, j’arrive… J’ai fait en me décrottant les yeux.

Henri a 25 ans et bosse comme prof de dessin dans un collège privé hyper catho dans le 7ème. Son problème, sa priorité : cacher sa légère tendance à reluquer les beaux mecs musclés (là, c’est dur) mais attention pas en dessous de 18 ans !
Son autre problème est son tour de ventre. Mais je crois qu’il s’est fait une raison, après 30 000 régimes à la con, on a compris finalement que merde c’était le stress qui le rendait comme ça.
Sa mère, donc la sœur de mon père, attend l’heureux jour où il lui fera des p’tits enfants, la pauvre !.... En fait dans la famille, y’a que moi qui est au courant.


Bref, Henri est un type bien et lui, au moins, il est sympa avec moi (ce n’est pas comme d’autres).
Bon, j’ai pris le RER, et le métro, le nez collé sur mon plan, je me suis rendu compte que j’m’étais paumé.
Alors là, à cet instant-là, oui, il m’est arrivé un truc pas possible ! Une fille m’a fait un clin d’œil. Oui ! J’ai bien cru qu’elle m’en faisait un ! Enfin, je crois, heu…Je l’ai regardée dans le blanc des yeux pendant ce qui m’a semblé être une éternité. A la réflexion, c’est moi finalement qui ai soutenu son regard.
Puis, elle est partie comme ça, pof ! Disparue !
Est-ce que j’avais rêvé ? En fait, est-ce que cette fille était bien réelle ? Je commençais à douter…

Henri et moi, on s’est enfin retrouvé au métro Solferino. Je pensais encore à cette fille, et je me suis rendu à l’évidence : non, cette fille ne pouvait être qu’une illusion tout droit sortie de mon imagination.. Cela devait être un mirage dû un manque affectif confirmé par une théorie freudienne, comme dirait le psy de mon lycée.

Et hop direction rue de grenelle.
- Au fait, Henri, dis… C’est quoi, cette manif exactement ?
- Ben, tu vois pas, cousin ? Nous sommes devant le ministère de l’Education Nationale et je soutiens mes collègues. Tu sais : le dernier projet de loi, les suppressions de classes, d’heures, et puis les salaires aussi…
- Heu ! Ouais, ben ouais, hein, ça va gueuler fort, hein !?

Mais à vrai dire, j’me sentais tout con, moi, ici dans une manif du genre soixantuitards complètement impliqués dans leur délire !
Là, j’étais mal, fallait pas qu’on me voit à la télé, ce jour- là. Vous vous rendez compte ?
J’avais déjà une réputation de looser mais si en plus j’apparaissais comme un fayot, bien vu par les profs, putain j’allais morfler !

- Mais non, t’inquiète, a fait Henri, tu vas voir, ils sont tous très cools mes collègues, en plus y aura des élèves, c’est bon, je te dis…
Je m’imaginais déjà avec 2000 personnes m’écrabouillant comme une sardine toute molle.
En fait, on s’est bien marré. Je tenais fièrement une banderole avec trois autres types, qui hurlaient comme des fous furieux, à se défoncer la voix, je vous jure.
- Oh Oh , lààà, tout doux, je leur ai dit, vous allez nous faire embarquer !
"PROJET FILLON… ALLEZ LES PROFS, AUX MOUSQUETONS… !! "

Puis les CRS sont arrivés (aïe).
Bah, ça n’a pas loupé… ON s’est fait embarqué. Henri faisait une tronche de dix mètres de long.

- Woua ! J’ai fait en sortant du poste de police, c’est dingue ce qui nous arrive ! Puis Mon cousin m’a regardé et un fou rire s’est emparé de nous comme l’aurait fait une secousse sismique (j’exagère !).
Ce fut le plus beau moment de mon existence, le plus beau jour de ma vie (à part la fois où j’ai rencontré Chloé, ça c’est sûr) mais là, j’ai éprouvé pour la première fois une sensation inexplicable de bonheur, je ne sais pas pourquoi…
Peut-être que je me sentais vivre tout simplement.
En tout cas, ce soir-là, je rentrais chez moi avec le sourire.

Et ça mon vieux, c’est pas tous les jours que ça m’arrive !


(Episode 16: scénario: Florence Molinet / illustrations: nino)

17.3.05

15 - La belle...

C’est l’enfer.
J’ai l’impression que tout me tombe sur le coin de la gueule ces temps-ci. Une poisse pas possible !
Suite à mon cauchemar de l’autre nuit sur l’armée, j’ai continué de lire le journal de Chloé.
Vous l’avez vu, j’y ai découvert un passage assez effrayant sur une personne qui lui fait plus peur que la mort. Ca m’a donné des frissons de savoir que sa vie était ainsi en danger. Mais que faire ? Je ne puis essayer de la consoler ni même de lui en parler puisque je ne suis pas censé avoir ce journal. Il n’empêche, à ce moment précis, j’ai eu un besoin urgent d’en parler à quelqu’un.

Nous étions dimanche, dernier jour des vacances. J’avais avalé mon petit déjeuner et m’apprêtais à partir lorsque mon père me choppa par le colbach et me dit :
« Dis donc toi ! Tu crois que tu vas où comme ça ? Ta mère t’a pourtant mis au courant qu’on allait t’avoir à l’œil maintenant. Alors tu me retires cette veste de suite et tu montes potasser ton français. »
« Papa je peux pas là, je dois abs… »
Grosse erreur !
« Tu me tiens tête ? Tu crois quoi là, que t’es avec tes potes ? Ici quand je te dis quelque chose tu le considères comme un ordre et pas comme une proposition. Tu m’as compris ? »
Mieux valait la jouer profil bas et l’écouter. Je montais tout penaud dans ma chambre mais la rage au ventre.
En fait, l’armée… j’y avais toujours été !


Pour la première fois, je m’apprêtais à bafouer l’autorité de mes parents. J’ouvrais la fenêtre de ma chambre et l’enjambais. Je me retrouvais sur l’avancée du toit qui surplombe la terrasse du jardin. Je savais que ma mère me verrait du salon alors je descendais par la gouttière de droite le long du mur où je resterais invisible aux yeux de l’intérieur.
C’est marrant, gamin, je m’étais toujours dit qu’un jour je m’enfuirai la nuit par ma chambre retrouver la fille de mes rêves et j’ai des centaines de fois regardé le chemin à emprunter pour ne pas me faire repérer. Si bien que ce matin là, je me suis fait la malle aussi facilement que de chausser mes lunettes.

Bon, bien évidemment, faut toujours qu’il y ait une couille dans le potage. Sidonie, que mes parents avaient envoyée jeter la poubelle revenait et m’avait vu descendre par la gouttière. Elle m’attendait au coin de la maison :
« Alors Mowgli, on va chercher ses cacahuètes ? »
« Putainnn Sidonie, tu m’as foutu une de ces trouilles ! »
« Tu dois avoir quelque chose de super important à faire pour te casser à l’insu des parents ! »
« Grrr ! Bon allez, dis moi ce que tu veux en échange de rien dire ! Ch’uis pressé bordel. »
« Mmm, voyons voiiiir… »
« Allez grouille merde ! »
« Bon d’accord ! Tu me donnes ta chambre ! »
« Hein ! Quoi ? M… mais t’es folle ! C’est disproportionné ! »
« Ah ouais ? Bon ben je vais les prévenir alors ! »
Piégé comme un gamin de 6 ans !
« Putain Sidonie, tu fais chier ! Tu sais bien que ma chambre est plus grande pour l’ordi et mon lit. Si je prends la tienne je vais être comme un hamster en cage ! »
« La balle est dans ton camp frérot ! Je te laisse 10 secondes de réflexion ! »
Une sale peste je vous dis.
« Ok, ça va, tu l’auras. A la seule condition que je me fasse pas chopper à mon retour. Donc tu feras tout ton possible pour faire croire que je bosse. T’as pigé ? »
« Ok, c’est bon ! »

Je traversai le jardin à toute hâte et couru chez Francky. Je ne l’avais pas vu depuis le jour où lui et Erika s’étaient embrassés sous mon « perchoir » !
Beaucoup d’évènements s’étaient produits et leur amourette me paraissait être une peccadille à côté des récents évènements.
J’arrivais devant sa porte et sonnais.
Ses parents, je le savais, ne seraient pas là. Tous les dimanches, ils partaient en balade la journée tôt le matin. J’avais passé d’interminables fins de semaines chez lui à jouer à la console ou à parler de films et de filles.

Ce matin là, lorsqu’il m’ouvrit, il avait la gueule enfarinée.
« Salut Francky ! ‘Tainn, j’ai trop de trucs à te raconter, tu me croiras jamais ! » J’allais entrer dans le vestibule mais il fit un geste qu’il n’avait jamais eu avec moi : il me barra le chemin, sa main sur mon thorax !
« Ecoute Rom’. Tu peux plus débarquer comme ça à l’improviste chez moi. Je suis pas tout seul ! Tu comprends ? »
« Francky, je m’en fous que tu te tapes Erika. Je vous ai vus l’autre jour vous embrasser. C’est très bien pour vous deux, ch’uis trèèès content. Mais là faut vraiment que je te parle ! »
Il parut à moitié surpris et se ressaisit :
« Ouais bon, je savais pas que tu savais mais ça change rien au fait que tu peux plus arriver comme ça à l’improviste. Erika et moi on passe du temps ensemble et dès demain on pourra plus se voir autant que ces vacances. Donc on aimerait profiter du dernier jour. »
« Francky, tu vas pas me dire que t’as pas un peu de temps à me consacrer quand même. L’amour ok je comprends mais là… »
Il me coupa :
« L’amour ? Mais qu’est-ce que tu peux bien y connaître toi à l’amour ? »
LHAH ! Dans la gueule ! Je crois que ma baffe à Mélanie à dû faire moins mal que les mots que vient d’avoir Franck.
« Beu… mais qu’est-ce qui te prends Francky ? Tu m’as jamais… »
« Hôôô, et puis arrête de m’appeler Francky. Ca fait vraiment puéril. Putain mais Romuald, regarde toi, on dirait que t’as pas grandi. J’ai vraiment l’impression qu’il se crée un gouffre entre toi et moi. On n’a vraiment plus grand-chose en commun mec. »
A ce moment là, Erika apparut dans l’embrasure de la porte, derrière Franck. Elle avait un drap autour du corps, comme dans les films. Elle me fit un timide bonjour.
J’avais l’impression de me retrouver dans un mauvais film. Franck et Erika avaient à l’évidence prit le TGV de l’amour pendant que moi je marchais deux blocs de béton coulés aux pieds.

Je tournais les talons, les yeux pleins de larmes.
Je perdais petit à petit tous mes repères. Je ne savais plus vers qui me tourner.
Pouvait-il m’arriver pire que tout ceci ?



(Episode 15: Scénario: nino / Illustrations: Jérôme Pastorello)

14.3.05

14 - Journal de Chloé Marcovitch

Dimanche 20 février 2005

Salut toi.
La peur ressurgit.
Je pensais qu’elle était enfouit profondément.
Mais non, elle est là, terrible, sournoise.


J’étais au Cofy Café d’Epinay sur Orge quand elle est revenue. Ca commence toujours par le bas du ventre et ça remonte doucement, lentement jusqu'à ma gorge.
Dès que je vois une silhouette qui lui ressemble ça revient, dès que j’entends une voix qui se rapproche de la sienne, cette peur panique ressurgit, toujours plus incontrôlable.
Mélanie était devant moi au café. Je crois qu’elle a sentie quelque chose…

C’est dans mon regard que ça se voit le plus.
Mais non, je me fais des films, elle ne peut rien voir ni sentir.

Ca fait 5 ans qu’il est parti, sans donner signe de vie.
Je sais que les flics le cherchent mais cette attente est insoutenable.
Savoir qu’il peut revenir dans nos vies, avec maman, n’importe quand et surtout quand il veut (le plus insoutenable c’est ce « quand IL VEUT »).

Apres ce qu’il m’a fait je crois que je pourrais le tuer.
Apres ce qu’il a fait à maman je crois que je pourrais le tuer.
Mon dieu, je voudrais qu’il soit mort.
Je voudrais.



Lundi 21 février 2005

Salut journal !
Aujourd’hui, ça va mieux. Enfin je crois.
« Elle » est partie, je n’ai plus mal.

Mon psy me dit que c’est normal. Que ça reviendra tant que je n’aurai pas réglé mon problème. Il veut me filer des antidépresseurs mais moi je l’emmerde ! Je sais ce que ça fait, tu deviens un vrai zombie et ça je ne veux pas !

J’aurai plutôt besoin de quelqu’un pour me protéger.
En fait…
J’ai besoin de réapprendre à aimer.
Mais il n’y a personne. Les mecs, à 17 ans, ce ne sont pas des cadeaux. J’ai l’impression qu’ils passent plus de temps à se mesurer leurs pénis entre potes qu’à rechercher quelqu’un pour aimer.
Simplement aimer.


Bon, passons à autre chose
Au cofy café je n’arrête pas de voir ce Romuald.
Il est marrant avec ces petites lunettes et son air ahurie. Je vais l’inviter à ma soirée.
Mélanie le déteste, je sais pas pourquoi. Elle en parle toujours d’une façon négative (petit con, ce connard etc…)

Voila, tiens, je le note, comme ça je n’oublierai pas : INVITER ROMUALD A MA FETE !

J’espère que ça va aller maintenant,
J’espère…

A demain, Journal !


(Episode 14: Scénario: rvdd / Illustrations: nino)

11.3.05

13 - Sir yes sir

La pluie me fouettait le visage tellement fort que j’avais peine à ouvrir les yeux. Elle s’insinuait par chaque interstice entre ma peau et mes vêtements. Elle était glacée et j’étais parcouru de frissons.
Il me gueula dans les oreilles :
« MAIS QU’ELLE EST CETTE RACLURE DE BIDET QUI FERME LES YEUX DEVANT MOI ? »
J’essayais de répondre mais la pluie s’engouffrait dans ma bouche et formait des borborygmes inaudibles :
« Gle gluis Glomualg Begltet, shuef ! »
« J’AI ABSOLUEMENT RIEN COMPRIS A LA MERDE QUI TE SORT PAR LE TROU QUE TA MERE OSE NOMMER BOUCHE, TROU DU CUL HUILEUX ! OSE SEULEMENT ME TENIR TETE UNE FOIS DE PLUS ET C’EST LA CORVEE DE CHIOTTES PENDANT DEUX MOIS QUI TE GUETTE ! »


Lorsque j’avais décidé de m’engager comme volontaire dans l’armée ce jour là, j’étais loin de m’imaginer que je venais de choisir une option pour l’enfer.
En pensant éviter une dérouillée au bahut par les copains de Mélanie et Chloé, j’avais bouclé mon sac pris le premier train et m’étais rendu au centre de recrutement.
On m’avait filé un uniforme : treillis, rangers, casque et béret.
En l’espace de quelques instants j’étais passé du stade de bachelier à celui de troufion !
La première nuit que j’ai passée là-bas, les sergents sont entrés dans les piaules à 2 heures du matin, cuillères et casseroles à la main en tapant dessus comme des tarés.
Ils nous ont fait aligner et passer en revue par le sergent chef. L’un d’entre nous avait un fil de chaussette qui dépassait. Du coup, ils nous ont tous fait descendre dans la cour sous la flotte. On était trempés jusqu’aux os. Le sergent chef nous gueulait dessus quelque soit la réponse à ses questions. On a bien dû passer trois heures sous cette flotte à faire des pompes, des tours de caserne et à se faire humilier les uns et les autres.
Baffes, coups de poings, coups de genoux, coups de pieds. On y est tout passés.
Une fois de retour dans la chambrée on aurait pu faire une bonne grosse soupe de sang et de dents. Une heure plus tard c’était le clairon. Autant dire que j’étais pas frais.

Je voulais pas partir de là. Je savais que tout ça c’était que de l’intimidation. Même si je morflais, c’était moins pire que de rentrer chez moi et subir la honte de m’être enfui et d’avoir à peine tenu une journée.

Plus tard, le sergent chef nous emmena dans la forêt moi et ma section. Il nous fit asseoir en cercle dans une clairière et nous annonça qu’il allait nous enseigner l’esprit d’équipe. L’esprit de corps. Afin qu’on soit tous soudés les uns aux autres dans les moments difficiles.
Il fit lever 5 gars qui s’étaient assis sur un gros tronc d’arbre dont la souche avait été déracinée par une violente tempête. Il intima à 2 autres de les aider à soulever le tronc et le déplacer à une dizaine de mètres de là, le tout à bout de bras. J’étais assis à côté d’un gars qui avait tenu tête la veille au sergent chef et s’était fait refaire le râtelier par celui-ci.
Les 7 troufions se sont donc exécutés mais la souche était bien plus lourde que le reste et le pauvre gars à l’arrière avait toutes les peines à maintenir ce poids mort. Au bout de deux pas il lâcha, ce qui déséquilibra les autres. Ils partirent tous vers l’arrière droit sur moi. Je plongeais sur le côté et entendais le bruit sourd du tronc rebondir sur le sol ainsi que le bruit mouillé d’une pastèque qui s’écrase au sol.
Je me retournais et constatais avec effrois que la souche s’était écrasée sur la face de mon voisin. Tout était maculé de sang sur un rayon de un mètre !
Une envie de vomir me submergea et c’est à ce moment précis que j’ouvris les yeux.
J’étais tombé du lit dans ma chambre et j’avais le nez et les dents collés au plancher. Je devais être ainsi depuis assez longtemps vu les courbatures qui me lançaient un peu partout dans le corps.
Putain mais quel cauchemar !

J’ai vraiment songé à m’engager dans l’armée après ce qui s’est passé avec Mélanie et jusqu’à hier soir j’étais prêt à prendre mes clic et mes clac.
Et puis avant d’aller me coucher j’ai regardé Full Metal Jacket ! Ca a eu le mérite de me faire relativiser.
Maintenant, reste à savoir ce qui m’attend demain le jour de la rentrée.
Je vais peut-être rendre une petite visite à Francky…

(Episode 13: scénario: nino / illustrations: Nautile Bleu)

9.3.05

12 - Point de non retour

Il est 11h lorsque j’ouvre la porte.
J’ai la tête dans le cul. Impossible de fermer l’œil du reste de la nuit. Ce n’est que sur le matin que j’ai réussi à dormir deux heures.
Mon père est déjà parti travailler et ma mère s’en allait lorsque je descendais prendre mon petit déjeuner. Sur le pas de la porte elle m’a lancé :
« Pour ce qui est arrivé hier soir ton père et moi avons décidé que tu passeras le reste des vacances à bosser ton bac. T’as rien foutu jusqu’à maintenant, il est temps que tu te reprennes en main. Et sois certain qu’on y veillera ton père et moi ! »
Elle a pas tord la vieille, j’ai pas encore ouvert un seul bouquin !

Mélanie me regarde toujours son sourire en coin. Elle a pas du trop dormir elle non plus vu les poches sous ses yeux. Mais pour d’autres raisons que moi…
« Tiens pine d’huître ! Ch’uis sympa je te ramène ton blouson ! »
Elle me tend effectivement mon blouson. Il empeste le vomi, la bière et la pisse. Je la regarde furibard.
Elle s’empresse d’ajouter :
« Hé, j’y suis pour rien moi. On l’a trouvé comme ça au milieu de la pièce. J’ai les mains qui puent moi aussi. C’est Chloé qui ma demandé de te l’apporter. »


Au nom de Chloé ma mâchoire se serre. Mélanie a une fois de plus fait mouche.
« D’ailleurs en parlant de Chloé, tu t’es bien rincé l’œil cette nuit mon salaud. Ca t’a excité de nous voir à poil, hein ! »
« Espèce de sale gouine va, t’as jamais pu m’encadrer parce que j’étais un rival pour toi, c’est ça hein ? »
« Ha ha ha ! Pauvre abruti ! Parce que tu crois vraiment que toi et moi on joue dans la même cours ? Mais mon pauvre Romuald, t’es qu’une merde aux yeux de Chloé, t’existe même pas ! Regarde un peu ta gueule : t’es aussi beau que le cul d’un babouin, t’as des boutons plein la gueule que tu pourrais ouvrir une mercerie et je suis surprise qu’on t’ai encore jamais proposé de jouer dans James Bond pour remplacer dents d’acier ! »
Ca n’a fait ni une ni deux, en une fraction de seconde la moutarde m’est montée au nez et je lui ai fait bouffer une salade de phalanges qui l’a envoyée direct au sol.

Encore surprise de la rapidité des évènements, Mélanie me regardait incrédule, sa main sur la joue qu’elle devait avoir en feu. J’étais crispé dans la position finale du mouvement de la baffe et je sentais la haine m’envahir.
Je m’approchais d’elle et lui dit :
« C’est la dernière fois que tu m’insultes, t’as compris ? Recommence encore et c’est ta gueule qui ressemblera vraiment au cul d’un babouin. Et tu peux dès à présent me considérer comme ton pire ennemi et la principale menace entre toi et Chloé. Un jour, c’est toi qui nous materas au pieu ! »
Les mots sortaient de ma bouche comme s’ils avaient toujours été là à attendre patiemment le bon moment pour sortir. Pendant ces quelques instants je n’étais plus moi-même. Une force invisible me dictait les mots et je n’avais peur de personne !

Mélanie se releva, impressionnée je pense que j’ai osé lui tenir tête ainsi. Elle n’eut que cette phrase :
« T’es grillé Romuald ! » Et elle partit d’un pas rapide.
Je ne rentrais qu’après l’avoir vue disparaître au coin de la rue. Sur les quelques mètres qui me séparaient de la porte d’entrée, je tremblais comme une feuille. Sidonie était sur le seuil et me regardait avec des yeux ronds.

Ses premiers mots furent :
« Purée, je sais pas ce qui t’a pris mais t’es mal barré ! »
« Si j’avais voulu ton avis je te l’aurais pas demandé alors casse toi et m’emmerde pas ! »
« Casse toi toi-même, gros naze ! Tu viens de frapper la meilleure copine de la fille la plus populaire du lycée. Lundi à la rentrée, j’aimerais pas être à ta place ! Tous les mecs vont te casser la gueule ! »

Et elle monta dans sa chambre en se marrant.
J’avais déconné. Je le savais mais j’avais pas besoin de l’entendre. Surtout pas après tout ce qui venait de se passer.
Ce qu’il me fallait, c’était mes amis et surtout… trouver quelque chose pour pas devenir la bête noire du lycée…

(Episode 12: scénario: nino / illustrations: rvdd)

7.3.05

Un temps de chien, rien à faire, questionnement philosophique sur ma vie sexuelle et baptême du plus long titre de l’histoire du blog de Romuald…

Il fut un temps où j’étais petit.
De ces jeunes années je ne retiens qu’une seule chose : mon obsession quasi compulsionnelle pour le sexe opposé.
Enfant, j’attendais fébrilement l’arrivé du catalogue de la redoute, prétexte à moult expériences sensuelles débridées… Muni d’une paire de ciseaux, je courrais dans ma chambre, catalogue sous le bras et je m’enfermais en bloquant la porte avec une lourde chaise en bois.


Le rituel pouvait commencer :
Dans les pages "lingeries" et "maillots de bains", je découpais ces corps de déesses en suivant amoureusement leurs fabuleuses courbes (en faisant des incursions au rayon détente pour apercevoir le vibromasseur qui ne vibre, d’après la photo, que pour les joues).
Ensuite je déposais fébrilement mes "dames" sous mon oreiller. Heureux et rassuré de ne pas m’être fait prendre, je savais à ce moment précis que mes nuits allaient être particulièrement intéressantes.


Pourquoi je vous raconte cette anecdote ? J’imagine que certains pensent que je suis bien parti pour devenir un maniaque sexuel dépressif !
Et bien voila… comme vous le savez, l’autre soir, j’ai perdu toute illusion sur Chloé Marcovitch.
Quand j’ai vu ces deux nanas enlacées, amoureuses, j’ai tout de suite pensé à mes petites nénettes sous mon oreiller.
Merde, tous ces découpages pour en arriver là !

En repensant au déroulement de mon invitation à cette soirée, je suis persuadé que cette salope de Mélanie avait tout prévu depuis le début. Je comprends mieux maintenant son empressement quasi pathologique à me rembarrer constamment.
Même si je ne suis qu’un pitoyable adversaire, je reste quand même une menace, microscopique certes mais une menace quand même !

Putain, je vais me battre !
Chloé n’est pas perdue à tout jamais et heu…
Putain…

Il me suffit de regarder pas la fenêtre et de voir ce temps gris avec cette pluie fine pour retomber dans ce gouffre mélancolique qui ne me quitte plus depuis cette soirée.

A ce moment précis, la sonnette retentie.
Je descends.
J’ouvre la porte.
Melanie est sur le perron et me regarde avec son sourire carnassier…


(Episode 11: scénario: rvdd / illustrations: Alexis Sentenac)

2.3.05

10 - Mal de tronche...

C’est bizarre comme le mot fête dans la bouche de quelqu’un ça veut pas forcément dire la même chose que dans celle de quelqu’un d’autre !
Pour moi, une fête avec mes potes (ou seulement avec Francky), c’est une soirée pizza coca avec deux, trois films (d’horreur de préférence) ou bien une virée au bowling de Villiers-sur-Orges… avec ma mère ok mais soirée bowling tout de même.

Là, chez Chloé, je me suis cru dans une autre dimension. Genre un peu comme dans la vieille mais non moins excellente série TV « La 4ième dimension ».
C’était complètement surréel. Je m’explique.

La soirée démarrant à 19 heures, je m’étais dit que le plus tôt j’arriverais, le plus tôt je pourrais parler avec Chloé. Malheureusement, c’était sans compter sur ma connasse de sœur qui s’était enfermée dans la salle de bain juste avant moi et faisait exprès d’y rester le plus longtemps possible.

Du coup, le temps que je prenne ma douche, me sèche et m’habille, il était déjà 20 heures. Adieu l’intimité avec Chloé !
Je m’étais sapé genre cool : jeans, T-shirt, pull un peu ample et petite touche classe : mes pompes du dimanches. Et bien évidemment blouson, écharpe, bonnet et gants contre la neige et le froid.
Et pour pas arriver les mains vides j’avais amené des biscuits apéritifs et du coca
J’arrive devant chez Chloé, à la bourre donc, je longe l’allée centrale et sonne. Premier effet Kiss Kool : c’est Mélanie qui m’ouvre.
« Tiens ! Vl’à mister HP en personne ! » marmonne-t-elle.
Je lui fais un sourire de circonstance et entre. La maison est pleine à craquer. Des tas de petits groupes se sont déjà créés et s’entassent comme ils peuvent sur les canapés, fauteuils, marches, tables, guéridons etc…
Mélanie me prend des mains mon sac de bouffe, mon blouson et disparaît dans la foule !
Deuxième effet Kiss Kool : le regard des autres. Tout le monde me mate comme si j’étais à poil : au premier stade ils sont surpris puis la surprise fait place à des pouffements et ricanements. Je suis pas super à l’aise.
Je tente désespérément de trouver quelqu’un que je connaisse et avec qui je puisse discuter mais en vain. Tous les invités font partie du bahut mais je n’en connais aucun personnellement.

A partir de ce moment là, je commence à avoir des picotements dans le dos et la sueur m’envahit. J’ai nulle part où m’asseoir, je connais personne et j’ai l’impression que tout le monde parle de moi et pas en termes élogieux si vous voyez ce que je veux dire !


Je suis à deux doigts de tourner les talons lorsque Chloé apparaît de nulle part et m’accueille avec un superbe sourire. Moi, tu peux dire ce que tu veux, mais une fille me fait un sourire pareil, je fais ses 4 volontés !
Donc elle m’accueille, me fait la bise (je me suis presque pissé dessus à ce moment là) et me sort deux trois banalités avant de me dire que je peux me servir au bar du fond. Puis elle disparaît comme elle m’était apparue !

Encore tout retourné par ce qui vient de se passer je me dirige vers le fond de la pièce non sans me faire insulter par un mec et une nana sur qui j’ai marché par inadvertance. Pour me remettre de ces émotions je me sers un grand verre de punch fait maison que je vide cul sec.
Je dis maison parce vu la claque que ça m’a foutue, c’est pas possible autrement. Je tiens pas facilement l’alcool mais d’habitude ça prend un peu plus de temps avant de faire effet. Là, je suis immédiatement scotché au plafond.
Un mec s’approche de moi. Il a le même regard que Francky après un gros buz et me demande si je veux niquer ce soir.
La question me paraît assez incongrue mais la réponse est assez évidente et l’ivresse doit aider mon interlocuteur à lire cette réponse sur mon visage.
« Tiens ! » me dit il en me glissant une pilule dans la main. « Avec un truc pareil, même toi tu seras assez sûr de toi pour tirer un coup. »
Devant mon air ahuri il assène son dernier argument : « Ch’te jure. N’importe quel cul… tiens, même celui de Chloé ch’uis sûr ! »
Il ne m’en faut pas plus. Je me ressers un demi verre de punch et avale la pilule avec.

Un quart d’heure plus tard, l’effet ne se fait pas attendre : j’ai la tête qui tourne, j’ai chaud et j’ai les jambes en coton. Je marche tant bien que mal sur ce que je peux pour tenter d’atteindre la porte d’entrée et prendre le frais mais à deux mètres de l’arrivée je trébuche et m’étale comme une grosse merde sur un groupe en train de chanter Lucy in the Sky with Diamonds à la gratte.
Ensuite, ça se passe comme la fois avec le joint de Francky avant le contrôle de maths (voir épisode 5) : c’est le trou noir.

Je me réveille dans un couloir à demi éclairé. Certains des invités sont dans un état comateux ou dorment à même le sol dans leur vomi. Moi-même je pue la gerbe. Je me relève péniblement : ma montre indique 3h20 du matin. J’entends des bavardages au rez-de-chaussée ou plutôt devrais-je dire des beuglements. A l’étage, derrière les portes on discerne aussi des bruits étouffés.
Dégoûté de cette soirée, je me mets en quête de retrouver mon blouson et mes accessoires pour le froid. J’ouvre une première porte derrière laquelle se trouve la salle de bain. Un mec et une fille dorment dans la baignoire. Des bouteilles jonchent le sol un peu partout.

J’ouvre une autre porte et là je crois que je me remettrai difficilement de ce que je vois. Mélanie et Chloé sont à poil dans un pieu en train de se caresser. Chloé semble saoule et Mélanie me voyant entrer me sourit de manière cruelle et embrasse goulûment Chloé qui se laisse faire.

Puis leurs petits jeux reprennent et je sors de là comme anesthésié. Le tournis repart de plus belle, les picotements aussi. Je dévale les escaliers 4 à 4, enjambe les bestiaux qui dorment ça et là le pantalon sur les jambes pour certain(e)s et cours à tout berzingue dans la nuit. Le froid fait me fait monter les larmes. Je revois Chloé prendre du plaisir avec cette catin de Mélanie.

J’aurais pu tout encaisser, même de la voir baiser avec un Apollon mais là c’est au-dessus de mes forces, cette situation à elle seule met un terme à toute relation possible avec Chloé.

Arrivé devant chez moi, je m’aperçois que je n’ai pas mes clés. Elles sont restées dans mon blouson chez Chloé.
Hors de question que je retourne là bas ce soir. Je sonne, de longues fois jusqu’à ce que mon père vienne m’ouvrir. Je grelotte sur le seuil. Il me regarde et dit de sa voix rauque:
« Putain mais t’as vu l’heure Romuald ? » Il s’approche et continue :
« Toi t’as bu ! »
« Euuuh… non ! »
« Allez file te coucher, on en reparlera demain matin ! »


Je monte dans ma chambre. Ce qui m’attend demain avec mes parents n’est rien comparé à la vision que j’ai eue et au fait qu’il va falloir que je retourne chez Chloé chercher mon blouson…

(Episode 10: scénario: nino / illustrations: Lionel Larchevèque)