17 - Mon monde à moi
Il y a un endroit où je me réfugie quand tout va mal : la décharge publique des templiers.
Une montagne de merdes disséminées dans une des anciennes carrières de la ville. Beaucoup trouveraient cet endroit particulièrement moche. Moi c’est tout le contraire.
Cette montagne de déchets représente tout à fait notre monde chaotique. Une génération d’objets que la société nous a vendus comme étant indispensables sont empilés là. Lave vaisselles et télés se font face dans un dernier souffle de vie ou un dernier combat épique, c’est au choix.
Assis sur mon frigo je repense à tous les événements de cette semaine. Franck et Erika m’ont jeté et Mélanie n’attend qu’une chose : me lyncher en place publique et évidemment dans d’atroces souffrances, sinon ce ne serait pas drôle…
Un monde de bonheur comme ils disent à la télé.
Je suis obnubilé par ce « Il » du journal de Chloé. De qui a-t-elle si peur ?
Son père, son beau père voire quelqu’un d’autre ?
Je m’aperçois que je ne connais rien de sa vie. Je ne voyais que le coté lisse de cette fille. Une jolie blonde, un fantasme. Non, Chloé est une fille comme les autres, avec ses problèmes et ses souffrances, ses défauts et ses qualités. Et mine de rien, je crois que j’en suis encore plus amoureux…
J’aimerais que l’on me voit aussi comme ça ! Enfin autrement que comme un ado attardé et boutonneux. Et je suis coincé.
Je ne peux pas décemment aller lui en parler. J’ai son journal et je l’ai lu. C’est la pire des choses que je pouvais lui faire.
Il allait bientôt faire nuit.
J’avais envie de rester ici, seul, sur mon frigo.
Mais les amas de ferrailles, bois et objets en tout genre prennent des allures de monstres lorsque le crépuscule pointe. Et parfois je m’invente des peurs qui ne me lâchent plus de la nuit.
Je sautais du haut de mon frigo. La nuit m’enveloppant, j’eus toutes les peines à retrouver mon chemin dans ce méli-mélo de fatras. La réussite de cette entreprise ne fut pas sans quelques coupures aux bras et aux jambes.
Je retrouvais la nationale qui mène à Epinay et la longeais dans la clarté d’une lune bientôt pleine. J’étais perdu dans mes pensées lorsqu’une voiture me doubla, freina et s’immobilisa sur le bas-côté.
Je distinguais la silhouette d’une femme qui sortait de la voiture et s’approchait de moi.
« Romuald ? »
« Euh…. Oui ! C’est qui ? »
Il ne me semblait pas reconnaître cette voix.
« Approche ! Qu’est-ce que tu fais tout seul ici de nuit ? »
Sa voix semblait plus inquiète que curieuse. En m’approchant je reconnus cette personne.
C’était la mère de Chloé. Je l’avais déjà vue à la sortie des cours et en ville bien sûr. Chloé était assise côté passager et nous regardait.
« Je… je rentrais chez moi. Je me baladais… et… je me suis fait prendre par la nuit ! »
« Mais… tu es blessé ! »
« Hein ! Ah non, c’est rien. Juste quelques égratignures »
« Allez, ne reste pas là, monte, je t’emmène à la maison te soigner et prévenir tes parents que tu vas bien ! »
« Non non, c’est bon, je vais… »
« Taratata ! Il ne sera pas dit que je te laisse ainsi sur le bord de la route. Tu montes ! »
Devant son insistance et sa troublante gentillesse, je m’exécutais. Je montais derrière son siège.
Chloé que je n’avais pas revue depuis la fête me fit un sourire.
« Salut Romuald ! »
« Euh… salut Chloé » dis-je tout penaud.
« T’étais pas en cours hier » me dit-elle.
« Euh… non. J’étais… j’étais à Paris. Dans les rues. Enfin je manifestais quoi ! »
« Mmm ! C’est bien ça » me dit sa mère. « Il faut toujours se battre pour ses convictions ! »
Annabelle, la mère de Chloé m’amena chez elles.
Je n’étais encore jamais venu. Elle soigna mes plaies et appela mes parents qui commençaient à se faire du souci. La gentillesse d’Annabelle me fendait le cœur. De mémoire, on ne m’avait pas traité avec autant d’amour depuis une éternité.
Chloé me raccompagna même jusque devant chez moi.
Nous n’échangeâmes pas un mot. J’avais pourtant mille et une choses à lui dire. J’étais gêné par la situation, par la douceur de sa maman, par les idées perverses que la présence de Chloé m’insufflait. J’éprouvais un désir incroyable à la toucher. Elle était mystérieuse et électrisante.
Sur le perron, elle m’embrassa.
(Episode 17: scénario: rvdd & nino / illustrations: sadr)