21 - Après...
Je ne garde que certaines bribes des évènements qui ont suivi la mort d’Erika.
Je me revois entrer dans sa chambre, son père soutenant sa mère en larmes. Elle me regarde et me serre tout contre elle. Sa robe est trempée par les pleurs.
C’est froid.
Puis ils quittent la pièce.
Je me retrouve seul avec… elle. Est-ce qu’on peut encore dire elle ? Son corps ? Son cadavre ? Sa dépouille ? Son enveloppe ?
Tout ça me dépasse. J’ai 17 ans et de mes deux seuls amis je viens de perdre le plus énigmatique.
Je crois l’avoir déjà mentionné, Erika est arrivée en France avec ses parents il y a deux ans et demie maintenant.
Elle a appris le français sur le tas et parlait déjà presque couramment.
Au début j’étais un peu amoureux d’elle. Je m’étais rapproché « stratégiquement » afin de lui apprendre le français. Et puis le temps aidant, notre relation est devenue platonique tout en se mêlant d’amitié.
La suite vous la connaissez : Erika, Franck et moi étions… étions… Voilà que je parle déjà de nous au passé !
…
Nous étions inséparables et faisions presque tout ensemble.
C’est bizarre, maintenant que j’y pense, je ne connais quasiment rien du passé d’Erika. Elle restait toujours très discrète sur ce sujet lorsque Franck et moi lui posions des questions.
Au début ça nous avait intrigué et puis après nous n’y pensions plus.
Je me souviens qu’une fois elle avait fait allusion à la mafia russe, je crois, en cours d’histoire. C’était un des cours qu’on avait sa classe et la mienne en commun.
Elle avait l’air de pas mal s’y connaître. Je ne me souviens pas exactement de ce qu’elle avait dit mais le prof avait l’air ennuyé.
Il l’avait gardée à la fin du cours quelques minutes puis comme à son habitude, Erika ne nous avait rien dit de ce qui s’était dit entre eux deux !
Cette fille reste… restera… un mystère !
« Rom ! »
Franck vient d’entrer dans la chambre. Il est accompagné du médecin en chef.
« Rom ! Viens !... On y va »
Il a la gorge nouée et se retient pour ne pas pleurer une énième fois.
Je le suis dans le dédale de couloirs et d’escaliers.
C’est étrange, quand on a perdu quelqu’un, on se sent… je sais pas comment dire… pas bizarre… on se sent… spécial. Oui, c’est ça, on se sent spécial. Spécial dans le sens où tous les gens qu’on croise vous doivent le respect. Inconnus et connus.
J’ai du mal à exprimer ça, ça peut paraître très égoïste mais c’est comme si moi j’étais mort et que toutes les personnes sur mon chemin étaient plus heureux que moi donc me devaient respect et compassion.
Pourtant, est-ce que moi j’éprouve respect et compassion pour les autres que je ne connais pas lorsqu’ils perdent un proche ?
Je sais pas ! Peut-être ! Peut-être pas ! Je me rends pas compte.
Le lendemain de sa mort, je voulais pas aller en cours.
Franck est passé me prendre. Si lui y allait alors je pouvais bien faire cet effort aussi.
Le directeur à la pause de 10h a fait un petit speech puis nous a fait observer une minute de silence.
J’étais en colère. Tous ces faux culs du lycée qui la connaissaient pas où se moquaient de notre groupe, observaient ce jour là une minute de silence en sa mémoire.
Respect et compassion.
J’ai séché le reste des cours de la journée avec Franck.
On est allés au « Cofy café », on s’est installés à la table près de la baie vitrée qui donne sur la rue et on a commandé un milk-shake café pour moi, un capuccino pour Franck et un verre de lait fraise en plus pour Erika. C’était sa boisson préférée.
On regardait ce verre posé à côté du cappuccino, entre le cendrier et le sucrier. Il était comme notre lien unique de communication avec Erika dans l’au-delà. A lui seul il nous renvoyait tous les moments passés à cette table ensemble, tous les fous rires, tous les espoirs et les galères d’ados.
Chloé est entrée, s’est assise à côté de moi et m’a caressé le dos.
Elle irradiait bien plus que cette fois où je l’avais vue entrer et commander un paquet de cigarettes.
Elle apaisait toutes mes peines et mes maux.
Et puis pour ne pas faire trop de mal à Franck en m’embrassant devant lui, elle m’a chuchoté à l’oreille :
« Si tu en éprouves l’envie, ce soir tu peux passer chez moi. »
Puis elle me fit un baiser sur la joue, embrassa aussi Franck sur la sienne et sortie.
On était sonnés tous les deux comme deux boxeurs après un double KO. !
La vie continue malgré tout...
(Episode 21: Scénario: nino / Illustrations: rvdd)