25.10.05

31 - New is beautiful

Les recherches n’ont rien donné.
On a bien été obligés de le dire à la mère de Chloé qui aurait tôt ou tard découvert le sang dans le cabanon.
Et puis, on ne pouvait pas la laisser en dehors d’un danger auquel elle était peut-être elle aussi exposée.

La police n’a même pas bougé son cul, prétextant que personne n’était blessé, ni disparu et que les recherches concernant le dénommé Marc Boisseau continuaient toujours. Depuis cette fois où Chloé… cette nuit où il était entré dans sa chambre…

Chloé et moi avons eus le temps de discuter tout ce temps où nous avons attendus au commissariat, assis sur la banquette bien dure, face à la cellule de dégrisement.
Elle m’a tout raconté. Tous les mystères qui planaient dans son journal et que, profane, je ne comprenais pas.
Elle m’en veut encore de ne lui avoir rien dit. De l’avoir gardé secrètement. De l’avoir lu sans honte.
La défense peut parfois ne rien amener de plus quand tout vous accuse. J’ai préféré ne rien dire, encaisser les remontrances et faire profil bas.

« Tu sais, avant que tout ça n’arrive entre nous, que tu me donnes plus d’amour que jamais je n’en reçus, tu étais pour moi la personne la plus inaccessible au monde ! Toujours entourée par une horde de copines et adulée par les mecs. T’es mon ange Chloé, ma petite fée qui volette dans mon cœur et le fait bondir dès que tu me regardes.
Moi j’ai jamais vécu que les insultes et bousculades des autres.
Alors quand j’ai découvert ton journal, le but n’était pas de te faire souffrir. J’étais même sur le point de te le ramener ce fameux jour et puis j’ai eu peur et je me suis réfugié dans un arbre… »
« T’es monté dans un arbre ? »
« Euh… ouais ! »

Elle sourit.
C’est bon de la voir sourire.

« Et donc… euh, dans l’arbre oui, et puis je l’ai gardé, je me suis dit que ce serait peut-être un moyen de t’approcher et de te parler. »
Petit silence. Un clodo ronfle dans la cellule.

« Je t’en veux encore mais ça passera Romuald. Tout ce qui m’arrive aujourd’hui est bien plus effrayant. Marc est un cinglé qui s’est surestimé hier soir. Sinon, je ne pense qu’on parlerait toi et moi ce matin, ici. »
« T’as été très courageuse Chloé. »


L’audition terminée, nous étions tous très choqués par l'impassibilité et l’inaction de la police.
Ma mère nous avait rejoints lorsque je l’avais appelée pour qu’elle ne s’inquiète pas. Je pense qu’elle a bien sympathisé avec Milène, la mère de Chloé.
La mère et la fille s’éloignent un peu pour discuter puis Chloé me prend à part.
Elle a les yeux qui s’emplissent de larmes mais elle les retient. Elle fixe ses pieds.
« Rom.… Je… je crois qu’il va falloir que je disparaisse quelques temps. Ma mère et moi sommes en danger et la police ne fera rien tant que l’une de nous deux ne sera pas morte ou blessée. »
Mon cœur enfle.
Je vais donc la perdre une seconde fois ?
« Mais… mais tu peux pas partir Chloé. Moi… moi… je t’aime »
On s’enlace, on s’embrasse, les larmes coulent doucement.
« Dis moi au moins où tu vas. »
« On peut pas prendre ce risque Rom. Je reviendrai, promis »

Elles s’éloignent. Je pleure toutes les larmes de mon cœur.
Pour la première fois depuis que je suis tout petit je crois, ma mère me prend dans ses bras et me câline.
Ca me bouleverse d’autant plus.

Un mois a passé.
Depuis tout gamin, j'aime dessiner des trucs sur la buée des vitres.
C'est con, mais j'étais super heureux quand on partait en vacances car à l'arrière de la voiture je pouvais créer de grandes fresques, des batailles épiques genre les chevaliers du zodiaque contre les monstres de Dragonball.
Et puis, au bout d'un moment, je bloquais sur la vitre le regard dans le vide.

Même maintenant, je peux rester longtemps devant les vitres du lycée. C'est juste à coté de mon casier.
Machinalement je redessine mes gribouillis de môme.
Et je pense.

Je pense à Chloé et ses souffrances.
Je pense à Franck et ses souffrances.

Et je pense que j'arrive encore à me plaindre.

C'est pile poil à ce moment pseudo philosophique que je me suis retrouvé devant la personne la plus étrange du lycée.

Une ch'tite nenette, coiffée avec un kepon qui me faisait de l'ombre.

- « C'est toi Romuald? »

Elle me toisait bizarrement.
Une petite frimousse mimi, un peu enrobée, elle dégageait quelque chose de spécial.

- « Heuuu, oui, c'est moi même » (pffff, c'est moi même, quelle réponse à la con...)
- « En fait, t'es mon binôme »
- « Hein? »
- « Ben ouais, tu dois me faire visiter le lycée mon vieux »
- « C'est nouveau ça... bon ben… ok, suis moi »

La première chose qui marquait sur elle c'était sa démarche. C'est marrant, des fois il y a juste un p’tit truc qui ressort de quelqu'un. Elle, c'était sa façon de se déplacer. On sentait une personne sûr d'elle, prête à défoncer la gueule du premier à se mettre sur son chemin.
Je sentais une putain de force sortir de cette nana.

- « Tu viens d'où? »
- « J'ai été viré de Charles Peguy à Morsang, alors zou me v'la ici. »
- « Et viré pourquoi? »
- « Ca mon vieux, on en parlera quand on se connaîtra intimement »

Vous êtes déjà devenu rouge comme une tomate? Ben là c'était un peu mon état...
Elle éclata de rire et puis on a commencé à faire le tour du lycée.

- « Sinon, tu penses quoi de la prostitution? »
- « J'sais pas, il... »
- « Quand tu penses que les ¾ des mecs sont capable de se faire des putes de l'est. Tu sais, ces nenettes, elles sont amenées de force ici. Les connards qui disent que c'est par choix qu'elles se prostituent, putain, j'leur foutrais des coups de boules »
- « Ben moi... »
- « Tu dessines ? »
- « Oui ! Mais comment tu... »
- « Moi aussi je dessine mais un peu. Enfin, j'suis pas une bête quoi! »

Elle s'arrêtait tout les dix mètres pour me parler de trucs comme ça et je n'arrivais pas à en placer une.
Arrivé sur le parvis du lycée, elle me dit d'une voix toute douce :

- « Romuald le mélancolique. »
- « Hein? »
- « Vieux, ta vie ne s'arrête pas à ces murs »

Je restais planté devant elle, l'air abasourdi...

- « Hein? Mais de quoi tu causes »
- « Merci pour la visite » me dit-elle avec un petit sourire en coin... « Au fait, les binômes, c'est du flan, j'voulais juste papoter avec toi... » et elle éclata de rire.

Les gens autour n'avaient plus d'importance, je restais planté là comme un con et sans même connaître son prénom...



(Episode 31: Scénario: rvdd & nino / Illustrations: nino)

22.10.05

30 - Le père, la fille et le saint esprit.

Le rat se montrait plutôt agressif.
Il tournait en rond. On apercevait dans ses yeux cette petite flamme rouge qui caractérisait la rage de ne pouvoir rien faire pour sauver sa vie.
Marc ne pouvait s'empêcher de faire le rapprochement avec sa propre existence.

Dans la cahute à outils, près du poste à aiguillage des rails de chemin de fer, en serrant fort le bâton, il s'apprêtait à faire ce sale job pour lequel la compagnie ferroviaire l’avait engagé de nuit : écraser ces putains de bestioles.
Quand soudain, le bruit de la porte se fit entendre. Il se retourna et vit cette ordure de Kercheck, son patron, avec le flic du secteur.

- « Bouge pas connard! »
- « Ben quoi, ch’fais c’que tu m’as dit merde ! »

Le contremaître le regardait avec un petit air sadique.

- « Ce satané rat nous fait chier depuis deux semaines, c'est bon, cette fois je vais m'le faire! »
- « Ben ouais, mais t'avais quand même oublié d'me dire un truc, vieux... T'as un passé, et pas un p'tit. On vient de me faire le bilan de ta vie et c'est pas super ragoûtant »

C'était lui le rat maintenant.

- « J'ai du mal avec les gars recherchés pour pédophilie, Marc »
Ils n'eurent pas le temps de bouger. Marc était déjà sur eux. D'un grand coup de bâton il explosa le nez du policier et mis un coup de coude dans le ventre de son ex collègue.

Au passage il prit un coup de matraque sur l'arcade.
Avant de s'écrouler de douleur, le flic eu juste le temps de voir Marc s'enfuir dans la nuit.


Il courrait comme un dératé pendant 20 minutes. Un voile rouge obstruait sa vision. Il ne voyait que quelques lumières au bout de la ruelle : c'était le bar de Grand-ville.
Un bouge de camionneurs.
Le café n'était pas encore fermé et c'était le seul endroit où il pouvait se cacher et soigner son front dégoulinant de sang.

Il traversa la pièce. Deux clients discutaient au fond et la serveuse nettoyait ses verres de bières
Dans les chiottes, il resta figé devant la glace d'une saleté repoussante. L'image qu'elle réfléchissait était tout à fait réaliste : il n'était plus rien.
Une caricature d'homme.

- « Monsieur ? Nous allons fermer »
C'était la blondasse qui finissait son service et devait certainement fermer pour la nuit.

Cette salope le mettait à la porte.


- « Z’auriez pas de quoi raccommoder ça par hasard » lui dit-il en lui montrant le liquide visqueux s’échapper de la plaie.
- « Oh mon dieu ! Mais vous saignez ! »
- « … On vous la fait pas à vous, hein ! »

Elle eut devant son humour un petit sourire qui faisait ressortir sa fossette.
- « Venez par là, je vais vous soigner »

Munie de son passe, elle ouvrit une porte située à coté des chiottes. Dans ce débarras trônait tout au fond une petite armoire à pharmacie.
Elle y dégota des compresses, du désinfectant et une bande.

La tête emmaillotée, Marc n’y voyait plus que d’un oeil.
Les derniers clients étaient partis cuver dans les bras de Morphée et au moment où la barmaid allait fermer rideau et proposer à son blessé un dernier verre pour le remonter, Kercheck et le flic débarquèrent dans le bar.
Tout ce qui suit n’est que violence, bagarre, cassage de gueule et fracas !

Les deux hommes se ruent sur Marc poussant les chaises et les tables qui encombrent leur chemin, le flic son arme au poing, les nez comme une patate.
Marc, debout au bar pose sa main sur le comptoir et d’un bond se retrouve de l’autre côté. Accroupi derrière, il n’a que quelques secondes pour faire un bilan de ce qui l’entoure.
Dans chaque main, il saisit une bouteille par le goulot. Les deux hommes doivent être tout prêt. C’est le moment qu’il choisit pour se redresser.
Sans prendre le temps de viser, il balance la première bouteille sur le plus proche qui se la prend en pleine face. Un craquement au niveau du nez arrache un hurlement à Kercheck qui est projeté en arrière et s’écrase sur une table qui se broie sous son poids !

La deuxième bouteille part aussitôt dans la direction du flic qui a le temps de l’éviter et plonge sur le côté tout en usant de son arme dans la direction de Marc.
La détonation résonne encore aux oreilles de Marc. La balle a explosé le miroir derrière lui.
Sans plus attendre il se faufile à quatre pattes derrière le comptoir vers les toilettes.
A ce moment, le flic apparaît à l’autre bout du comptoir et tire deux coups qui manquent de justesse Marc.
L’homme n’attend pas son reste pour le rattraper et au moment où arrive au coin du bar, Marc apparaît un balai à la main.
Avec une vitesse et une maîtrise inouïe, il assène trois coups quasi instantanés : entre les jambes, le flic se plie, uppercut sur la figure, il repart en arrière et enfin crochet avec la tête du balai, le flic s’écrase comme un morceau de viande au sol.


Suite à cette rixe, seuls les gémissements de Kercheck et de son comparse sont audibles.
La barmaid a assisté à la bataille comme si elle n’était pas là : flottant au milieu des coups de toutes sortes.
Marc la rejoint, elle a peur mais c’est plus de l’incrédulité qui se lit dans ses yeux.

- « Vous allez me tuer ? »
- « Je devrais ? »
- « … »
- « Qu’est… qu’est-ce que vous avez fait pour qu’ils vous en veuillent ? »
Marc les regardant : « Je… j’essais de revoir ma fille qu’on m’a retirée. J’ai pas le droit de l’approcher ! »
- « Oh mon dieu ! Mais pourquoi ? »
- « J’ai… je l’ai… en fait sa mère me calomnie et la justice n’a pas cherché plus loin ! »
- « Et votre fille le sais ? »
- « Non. C’est pour lui dire la vérité que je tiens à la revoir »
- « Alors il faut y aller sans plus attendre. Comment s’appelle-t-elle ? »
- « Chloé ! »
- « Le passé ne compte pas, seule la vérité est importante. Allez retrouver votre petite Chloé ! »

Tout en marchant dans la nuit, Marc se demandait pourquoi il avait raconté tout ça à cette inconnue.
Des mensonges qui plus est.
Peut-être avait il besoin de la bénédiction de quelqu'un... pour une fois !

Mais sa dernière phrase résonnait encore dans sa tête : « Allez retrouver votre petite Chloé ! »

(Episode 30: Scénario: rvdd & nino / Illustrations: alec6)