31 - New is beautiful
Les recherches n’ont rien donné.
On a bien été obligés de le dire à la mère de Chloé qui aurait tôt ou tard découvert le sang dans le cabanon.
Et puis, on ne pouvait pas la laisser en dehors d’un danger auquel elle était peut-être elle aussi exposée.
La police n’a même pas bougé son cul, prétextant que personne n’était blessé, ni disparu et que les recherches concernant le dénommé Marc Boisseau continuaient toujours. Depuis cette fois où Chloé… cette nuit où il était entré dans sa chambre…
Chloé et moi avons eus le temps de discuter tout ce temps où nous avons attendus au commissariat, assis sur la banquette bien dure, face à la cellule de dégrisement.
Elle m’a tout raconté. Tous les mystères qui planaient dans son journal et que, profane, je ne comprenais pas.
Elle m’en veut encore de ne lui avoir rien dit. De l’avoir gardé secrètement. De l’avoir lu sans honte.
La défense peut parfois ne rien amener de plus quand tout vous accuse. J’ai préféré ne rien dire, encaisser les remontrances et faire profil bas.
« Tu sais, avant que tout ça n’arrive entre nous, que tu me donnes plus d’amour que jamais je n’en reçus, tu étais pour moi la personne la plus inaccessible au monde ! Toujours entourée par une horde de copines et adulée par les mecs. T’es mon ange Chloé, ma petite fée qui volette dans mon cœur et le fait bondir dès que tu me regardes.
Moi j’ai jamais vécu que les insultes et bousculades des autres.
Alors quand j’ai découvert ton journal, le but n’était pas de te faire souffrir. J’étais même sur le point de te le ramener ce fameux jour et puis j’ai eu peur et je me suis réfugié dans un arbre… »
« T’es monté dans un arbre ? »
« Euh… ouais ! »
Elle sourit.
C’est bon de la voir sourire.
« Et donc… euh, dans l’arbre oui, et puis je l’ai gardé, je me suis dit que ce serait peut-être un moyen de t’approcher et de te parler. »
Petit silence. Un clodo ronfle dans la cellule.
« Je t’en veux encore mais ça passera Romuald. Tout ce qui m’arrive aujourd’hui est bien plus effrayant. Marc est un cinglé qui s’est surestimé hier soir. Sinon, je ne pense qu’on parlerait toi et moi ce matin, ici. »
« T’as été très courageuse Chloé. »
L’audition terminée, nous étions tous très choqués par l'impassibilité et l’inaction de la police.
Ma mère nous avait rejoints lorsque je l’avais appelée pour qu’elle ne s’inquiète pas. Je pense qu’elle a bien sympathisé avec Milène, la mère de Chloé.
La mère et la fille s’éloignent un peu pour discuter puis Chloé me prend à part.
Elle a les yeux qui s’emplissent de larmes mais elle les retient. Elle fixe ses pieds.
« Rom.… Je… je crois qu’il va falloir que je disparaisse quelques temps. Ma mère et moi sommes en danger et la police ne fera rien tant que l’une de nous deux ne sera pas morte ou blessée. »
Mon cœur enfle.
Je vais donc la perdre une seconde fois ?
« Mais… mais tu peux pas partir Chloé. Moi… moi… je t’aime »
On s’enlace, on s’embrasse, les larmes coulent doucement.
« Dis moi au moins où tu vas. »
« On peut pas prendre ce risque Rom. Je reviendrai, promis »
Elles s’éloignent. Je pleure toutes les larmes de mon cœur.
Pour la première fois depuis que je suis tout petit je crois, ma mère me prend dans ses bras et me câline.
Ca me bouleverse d’autant plus.
Un mois a passé.
Depuis tout gamin, j'aime dessiner des trucs sur la buée des vitres.
C'est con, mais j'étais super heureux quand on partait en vacances car à l'arrière de la voiture je pouvais créer de grandes fresques, des batailles épiques genre les chevaliers du zodiaque contre les monstres de Dragonball.
Et puis, au bout d'un moment, je bloquais sur la vitre le regard dans le vide.
Même maintenant, je peux rester longtemps devant les vitres du lycée. C'est juste à coté de mon casier.
Machinalement je redessine mes gribouillis de môme.
Et je pense.
Je pense à Franck et ses souffrances.
Et je pense que j'arrive encore à me plaindre.
C'est pile poil à ce moment pseudo philosophique que je me suis retrouvé devant la personne la plus étrange du lycée.
Une ch'tite nenette, coiffée avec un kepon qui me faisait de l'ombre.
Elle me toisait bizarrement.
Une petite frimousse mimi, un peu enrobée, elle dégageait quelque chose de spécial.
- « Heuuu, oui, c'est moi même » (pffff, c'est moi même, quelle réponse à la con...)
- « En fait, t'es mon binôme »
- « Hein? »
- « Ben ouais, tu dois me faire visiter le lycée mon vieux »
- « C'est nouveau ça... bon ben… ok, suis moi »
La première chose qui marquait sur elle c'était sa démarche. C'est marrant, des fois il y a juste un p’tit truc qui ressort de quelqu'un. Elle, c'était sa façon de se déplacer. On sentait une personne sûr d'elle, prête à défoncer la gueule du premier à se mettre sur son chemin.
Je sentais une putain de force sortir de cette nana.
- « Tu viens d'où? »
- « J'ai été viré de Charles Peguy à Morsang, alors zou me v'la ici. »
- « Et viré pourquoi? »
- « Ca mon vieux, on en parlera quand on se connaîtra intimement »
Vous êtes déjà devenu rouge comme une tomate? Ben là c'était un peu mon état...
Elle éclata de rire et puis on a commencé à faire le tour du lycée.
- « Sinon, tu penses quoi de la prostitution? »
- « J'sais pas, il... »
- « Quand tu penses que les ¾ des mecs sont capable de se faire des putes de l'est. Tu sais, ces nenettes, elles sont amenées de force ici. Les connards qui disent que c'est par choix qu'elles se prostituent, putain, j'leur foutrais des coups de boules »
- « Ben moi... »
- « Tu dessines ? »
- « Oui ! Mais comment tu... »
- « Moi aussi je dessine mais un peu. Enfin, j'suis pas une bête quoi! »
Elle s'arrêtait tout les dix mètres pour me parler de trucs comme ça et je n'arrivais pas à en placer une.
Arrivé sur le parvis du lycée, elle me dit d'une voix toute douce :
- « Romuald le mélancolique. »
- « Hein? »
- « Vieux, ta vie ne s'arrête pas à ces murs »
Je restais planté devant elle, l'air abasourdi...
- « Hein? Mais de quoi tu causes »
- « Merci pour la visite » me dit-elle avec un petit sourire en coin... « Au fait, les binômes, c'est du flan, j'voulais juste papoter avec toi... » et elle éclata de rire.
Les gens autour n'avaient plus d'importance, je restais planté là comme un con et sans même connaître son prénom...
(Episode 31: Scénario: rvdd & nino / Illustrations: nino)