29 - Sueurs froides
Je sais pas comment expliquer ce que j’ai vécu l’autre soir en revenant de chez Franck.
Je passais devant la maison de Chloé et après ce moment de paix totale et d’harmonie sous les étoiles, j’étais comme anesthésié contre tous les maux de la terre.
Du coup, je me suis engagé dans l’allée des Marcovitch et j’ai sonné.
_ Romuald ! Quelle bonne surprise ! Ca faisait longtemps que je ne t’avais pas vu !
_ Bonsoir madame Marcovitch !
_ Oooh, appelle moi Milène, tu veux bien ?
_ *timide* Oui, d’accord !
_ Tu as changé dis moi ! Les vacances sûrement !
_ Ca doit être ça oui, dis-je un peu gêné. Je l’aie toujours beaucoup appréciée cette femme. Une maman comme j’en rêve peut-être.
_ Tu viens voir Chloé ?
_ Elle est là ?
_ Entre donc, je l’appelle !
Elle descend.
Elle a ce regard inquiétant que je lui ai vu lors de notre dernière rencontre, cette nuit là où elle a fait de moi un homme, comme on dit (bien que ce soit très con entre nous comme idée !).
Avant que j’ai pu ouvrir la bouche elle me fait un signe de la tête qui dit « Viens, on monte ».
Je la suis dans les escaliers. Les murs sont peints à la chaux. Accrochés ça et là des tableaux abstraits signés MM. Sûrement la mère de Chloé. Ils sont chouettes. Des couleurs qui pètent bien pour certains et d’autres très noirs avec un certain goût morbide sans raison apparente mais que l’image dans sa globalité laisse entendre.
Je me rends compte que c’est la première fois que je viens chez Chloé.
La maison est grande. Pourtant elles ne sont que deux à y vivre. La chambre de Chloé est spacieuse. Un lit à deux places, un ordi, une télé, un bureau, une armoire, une commode. Des meubles rustiques pour une fille de 18 ans. Des posters de chanteurs ou encore de vieux films : Scareface, les Blues brothers, Mad dog & Glory et Orange mécanique.
Marrant, j’adore ces vieux films aussi.
Elle ferme la porte derrière moi et se retourne.
_ Il faut que je te parle Romuald !
L’anesthésie a disparue, j’ai soudain peur de ce qu’elle a à me dire. Que j’ai agit comme un salaud, qu’elle ne veut plus jamais me revoir, que tout ce qu’on a vécu je l’ai foutu en l’air par mon attitude de parfait petit crétin.
Elle est face à moi, elle me fixe de ses grands yeux magnifiques. Ses dents mordillent sa lèvre inférieure, les coins inférieurs de ses lèvres se plissent vers le bas, elle tremble et soudain se jette dans les bras. Les bras autour de mon cou, elle enfouie son visage et je sens ses larmes chaudes couler sur ma peau.
Instinctivement je la serre tout contre moi. Je ne pensais pas retrouver un jour cette sensation de chaleur et de fusion, de bien être et de total abandon.
_ Qu’est-ce qu’il se passe Chloé ?
Elle hoquette et ses larmes continuent de couler.
_ Lààà, lààà, vas-y Chloé, pleure. Si ça te fait du bien, pleure !
Ca dure encore un peu puis elle se détache, se mouche, essuie ses larmes et me dit toujours tremblante :
_ Je l’ai tué, Rom ! Putain je l’ai tué !
_ Allons allons, de quoi tu me parles là !
_ Je l’ai tué je te dis ! Je l’ai cogné et il est mort maintenant ! Oh mon dieu, qu’est-ce que je faire, aide moi Rom, je sais pas quoi faire, ch’uis complètement perdue.
_ Calme toi Chloé. De quoi et qui tu me parles ?
_ Je te parle de Marc nom de Dieu ! Je l’ai tué. Marc. Il est mort, Marc !
_ Marc. Tu as tué Marc. C’est qui Marc ?
_ Oh mon dieu, c’est mon beau père Rom. Il nous harcelait sans arrêt ma mère et moi. Il arrêtait pas de téléphoner et de dire qu’il allait revenir et faire de notre vie un enfer.
J’avais peur mais plus jamais je lui aurais laissé nous faire le moindre mal, tu comprends.
_ Chloé, Chloé ! Ressaisis toi. T’as tué personne. Tu te fais un mauvais trip mais t’as pas pu faire ça, hein !
_ Putain mais puisque je te dis qu’il est mort. Il est venu tout à l’heure. Ma mère était pas là. Il a sonné. Comme une conne j’ai ouvert sans vérifier qui c’était.
Et là, elle m’a tout raconté. Je voyais toutela scène défiler devant mes yeux comme dans une salle obscure de cinéma.
_ Salut Chloé, ça fait un bail !
_ Oh putain non pas toi !
Il pause son pied contre le chambranle de la porte d’entrée.
_ Dis donc, t’es devenue une sacrément chouette nana toi !
_ *apeurée mais ferme* Dégage raclure ou je hurle !
Il pousse violement la porte ce qui a pour effet de la projeter contre le mur.
Il referme délicatement la porte.
_ Ttttt, c’est pas ce que j’appelle un accueil chaleureux ça Chloé !
_ *sonnée* Si tu me touche je te tue, ch’te l’ai déjà dit.
_ Tout de suite les grand mots. C’est pas moi qui t’ai élevée comme ça.
_ Tu m’as pas élevée, t’es pas mon père, t’es rien, t’es qu’une merde, je te maudit.
Il la gifle violemment. Elle se raccroche à la commode.
_ TA GUEULE, PETITE PUTE ! J’vais t’apprendre la vie moi tu vas voir.
Alors elle cours vers l’arrière cuisine et déboule dans le jardin.
Il la poursuit en jurant. Elle commet l’erreur de regarder par-dessus son épaule et trébuche. Il se jette sur elle mais elle roule sur elle-même et se relève avec une souplesse féline. Le temps qu’il comprenne, elle s’est emparée d’une bûche sur le tas près de la remise et sans réfléchir lui assène un coup magistral sur la tête.
Il s’écroule sur la terre sèche, son sang venant imprégner le sol.
Paniquée elle utilise les dernières forces que l’adrénaline lui procure et le traîne dans la remise.
Après cet aveu, j’ai l’impression que la terre entière retient son souffle.
Moi-même, il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits et encaisser ce récit.
_ T’as-tué-ton-beau-père, dis-je en détachant chaque syllabe.
Elle se remet à sangloter.
J’ai les jambes qui tremblent et je souffle fort pour évacuer la montée d’angoisse qui envahit mes veines.
_ Ok, la première chose à faire c’est le dire à ta mère !
_ Non, non, surtout pas, je veux pas qu’elle voit ça, c’est trop confus pour le moment…je…
_ Ok, ok ça va. On lui dit rien pour l’instant. Montre moi le corps.
On descend au rez-de-chaussée, elle attrape une torche et m’emmène dans le jardin. On n’y voit goutte. Je distingue la forme d’un cabanon en bois.
Elle allume la torche, ouvre la porte et lâche un juron horrifié.
Je regarde. Dans l’abri jardin, une flaque de sang macule la terre mais Marc n’est plus là.
(Episode 29: Scénario: nino / Illustrations: rvdd)