Je ne suis pas allé chez Chloé comme elle me l’avait proposé.
Pourtant, ce n’était pas l’envie qui me manquait. Mon imagination fertile vagabondait à de lubriques idées. Tout ce que ce « Ce soir tu peux passer chez moi » renfermait en son sein me turlupinait l’esprit.
Mais plus fort que ces perverses pensées, subsistait en moi le moment où je devrai me rendre avec Franck à l’enterrement d’Erika.
Je culpabilisais d’avoir ces idées avec Chloé alors que ma meilleure amie était morte.
Mais dans les pires moments on se raccroche aux branches qui se tendent à notre portée, quelles qu’elles soient.
L’enterrement était prévu le lendemain à 11 heures.
J’ai dormi tout mon saoul tellement j’étais fatigué. Aucun rêve ne vint me hanter cette nuit là et en me réveillant je me sentais comme lavé de tout, comme si je partais sur un nouveau départ.
La veille, mes parents m’avaient prévenu qu’ils ne viendraient pas à la cérémonie. Le vendredi pour un plombier c’est le jour le plus chargé et ma mère n’avait pu se libérer de ses ménages. Patrons trop sévères qui ne voulaient rien savoir disait-elle.
Pourtant, je me dis que s’ils avaient vraiment voulu me soutenir, ils se seraient débrouillés. On ne parle plus d’argent ou de clients là, on parle de mon amie Erika qui est morte !
A 10 heures, alors que j’étais seul à la maison, on sonne.
J’ouvre et Chloé se trouve sur le perron.
Elle s’est attachée les cheveux en un chignon adorable retenu par une baguette en bois laquée blanche. Elle porte une robe noire et une veste beige. Dans ses mains elle tient un bouquet de mille couleurs et un brin de muguet.
Je crois bien que c’est la première fois que je la vois en robe. On dirait une vraie femme.
- Salut ! me dit-elle.
- Salut Chloé !
Devant mon regard ébahi, elle sourit et me lance.
- Tu comptes me laisser là jusqu’à la noël ?
- Hein ! Euh… ah oui pardon. Vas-y, entre !
Elle passe le seuil, un doux parfum sucré m’envahit. Je referme derrière elle. Elle se retourne et me tend le muguet :
- Tiens ! C’est pour toi !
Je me sens tout gêné avec cette fille. Non seulement elle est celle que j’aime mais en plus elle me surprend toujours dans les moments les plus… spéciaux.
- M…merci ! Fallait pas Chloé. Et puis. Ben c’est à moi de t’en offrir. Dis-je tout penaud.
- Bah ! On dira que tu disposes de circonstances atténuantes.
Sa dernière phrase nous ramène à la dure réalité. Un petit silence s’installe qu’elle brise rapidement sentant qu’elle a peut-être fait une gaffe :
- T’es pas venu hier soir, Rom.
- Je sais. Excuse moi. J’avais pas le cœur à parler.
- Je comprends.
Elle se rapproche, pose le bouquet sur la table du vestibule. Elle est à quelques centimètres de moi. Un désir et des pulsions insurmontables me submergent. Je sens son corps me parler, son parfum m’appeler, ses cheveux et son sourire me narguer. Je passe mes mains sur ses hanches puis dans son dos et nous nous embrassons longuement au rythme saccadé de nos respirations fiévreuses.
Il est clair qu’à ce moment là, tout est possible.
Je ne saurais comment le décrire mais la gestuelle de nos corps et le langage de nos regards ne peut-être plus explicite.
Pourtant, nous savons tous les deux que l’heure n’est pas encore arrivée.
Nos langues se délient, nos bras se desserrent, nos visages s’éloignent, nos yeux s’ouvrent et un sourire de pure satisfaction s’affiche sur nos lèvres. Plus rien n’existe, le monde peut s’écrouler.
- C’est la première fois que tu viens chez moi, non ?
Nous connaissons bien évidemment tous les deux la réponse mais cette petite phrase nous réintroduits dans la réalité.
Elle se racle la gorge
- Ahum… oui ! Tu me fais visiter ?
- Ok.
Je lui présente sommairement le bas de la maison puis on attaque la montée des escaliers qui mènent aux chambres et à la salle de bains.
Tout en grimpant les marchent, je photographie de mémoire l’état de ma nouvelle chambre en désordre le plus total puisque j’ai récupéré celle de ma sœur, suite à notre pacte où je me suis bien fait entuber.
Le lit pas fait, l’ordi éparpillé aux 4 coins de la pièce, les vêtements en tas un peu partout et… et là mon cœur s’arrête, mon sang se glace, mes cheveux se dressent. J’ai la chaire de poule.
Hier soir, j’ai parcouru quelques pages du journal de Chloé. Il est resté ouvert sur le bureau. Au milieu d’autres livres d’accord mais en évidence tout de même sur le bureau.
Je m’arrête, je bafouille que la chambre est dans un bordel sans nom. Je dois être blême.
Chloé n’insiste pas mais je lis dans son regard qu’elle n’a pas mordu à l’hameçon.
A ce moment Franck sonne à la porte. Je me précipite vers la porte comme un naufragé vers sa bouée de sauvetage et lui ouvre.
Ses parents se sont débrouillés pour assister à l’enterrement. Ils nous accompagnent en voiture.
J’ai le sentiment de trahir Chloé. Je me sens coupable et j’ai envie de tout lui dire, lui rendre son journal et tourner la page.
Mais l’expectative de la perdre me terrorise.
Le soleil brille.
Je jette une poignée de terre sur le cercueil d’Erika.
Mon cœur enfle et désenfle à chaque respiration.
C’est une belle journée pour mourir.
(Episode 22: Scénario: Nino / Illustrations: Xavier Coste)